BLAVIER André

Portrait de BLAVIER André

Biographie

Né dans un milieu ouvrier, il accomplit des humanités modernes avant de se spécialiser dans la gestion des bibliothèques. Avec la guerre, il est déporté comme ouvrier en Allemagne et, à son retour (1942), il occupe une fonction de bibliothécaire à Verviers. Il s'éprend rapidement et accidentellement de l'oeuvre de Raymond Queneau (Chiendent et Les Enfants du Limon), avec lequel il entre en contact. André Blavier décide d'en faire la biographie... et écrit à Queneau. Les deux hommes se lient d'amitié. Entre eux, une véritable osmose s'installe.  Après la mort de Queneau (1976), Blavier crée un centre de documentation Raymond Queneau, à Verviers, et organise tous les deux ans un colloque international en son honneur. Ecrivain, poète, co-fondateur, avec Jane Graverol, du groupe Temps-Mêlés (1952), il organise des conférences (Andrée Sodenkamp, les exposés de Blavier sur les fous littéraires), des expositions (Magritte en 1953, Maurice Pirenne...), du théâtre, du cinéma, de la musique (Froidebise). En décembre 1952, sort le premier numéro de la revue Temps Mêlés. Pataphysicien, André Blavier adhère au Collège de Pataphysique (1950) et crée la Fondation de l'Institut luxembourgeois des Hautes Etudes pataphysiques (1965). Il décède en 2001.

Bibliographie

  • Les Fous litteraires, H. Veyrier, Paris, 1982.
  • Cinémas de quartier, suivi de La Cantilène de la Mal-baisée avec les remembrances du vieux barde idiot, et d'une Conclusion provisoire, Plein chant, Bassac, 1985.
  • Le mal du pays ou Les travaux for(ce)nés, Ed. Yellow Now, Liège, 1986.
  • Lettres croisées, 1949-1976 André Blavier, Raymond Queneau, correspondance présentée et annotée par Jean-Marie Klinkenberg, Labor, Bruxelles, 1988.
  • Occupe-toi d'homelies : fiction policière et éducative, préface de Jacques Bens, lecture de Claude Debon, Labor, Bruxelles 1991.
 

Textes

[...]

De la starlette à Nice exhibant son ourson
- A la Môme Crevette et dans tous ses états
Qui feint de dérober abondance d'appâts
Sous le drapé fuyant d'une douillete éponge
Dont la phénoménologie alluse à Ponge ;

De Cléopâtre néanmoins - à cette Héro


Pour qui Léandre, anacréontique héros
Traversait l'Hellespont en un crawl olympien
(Mais l'autant fut fatal à qui nageait si bien) ;

De la croupe évasive - à la hanche amphoresque ;
De la cuisse héronnière - à l'éléphantasiesque ;
Du nombril rigolard - à l'accent circonflesque
Ombiliquant d'Eva le ventre impollué ;

De celle dont le clitoris, turgide, exulte
A l'aspect des zobs longs lui rendant grâce et culte
(Elle m'aime et je porte un veston d'alpaca...)
- Aux jouvencelles qui majusculptent le vi-
Vant rien qu'à paraître telles que Dzeus les fit ;

De la gaillarde et très campagnarde Gothon
Qui dans la bouse se conjugue à croupeton
- A la lady (dis, dis !) select et britannique
Qui minette de rien se régale à la pique
Prolétarienne en diable et merde pour le cant
(La rigidité soit, mais pas cadavérique :
Si Pine osa, freudien, Lacan foutit le Kant)
D'un horse guard en grand arroi présentant armes
Après qu'il ait, faut-il le dire, ce troupier,
Vidé les étriers exhausseurs de ses charmes
Et pris position de pinailleur couché ;

De celle qui, certain soir de rout, m'enchanta l'
Ame, les sens aussi, et le nerf radical
- Je la titillais ferme à l'abri d'une cotte
(Le "je" qui parle ici n'est celui de l'auteur,
Qui n'est en ces sujets que modeste amateur.
La précaution n'est pas inutile en somme
S'il ne veut figurer à l'Index librorum
Parmi les Amatoriae Fabulae factices
Lors qu'il ne veut que dénombrer les artifices,
La cautèle, les stratagèmes, la malice,
Les feintes, ruses, trucs et appogiatures
Que par le monde, et le demi, la créature
Utilise à ses fins au fond ne varietur :
Le solennel embourbement de la luxure)
Ample assez pour celer les tressauts de sa motte
Pénétrée, à l'insu, d'un majeur lubréfié,
Tendre lave, chrême peu saint sui généré,
Rai de femme et d'étoile enfin pris au filet
D'un prudhommesque et prosaïque bilboquet
(Sa voix, chaude, m'habite, et ne me quitte plus
Quitte plus quitte plus quitte plus quitte plus)
- A la main de sa soeur aux papouilles suaves,
Investiguant fuineuse en mon froc de zouave,
Culotte d'alme pont aux rives de la scène
Où se joue à tâtons l'actif prolégomène
Du grand combat de l'Un pratélant le Zéro.
- "Z'avez voulu les voir, mes estampes nipponnes !"
Susurrais-je érectant à l'amène friponne
Au moment où, décalotté, mon mikado
S'excoriait à son annulaire alliancé
(Car elle était épouse et partant adultère
Mais comptait sur le sacrement auriculaire
Pour gommer, sur le pouce, un si plaisant accroc) ;

De l'Emma bovidée aux yeux exophtalmiques,
Qui rêve d'échapper à l'hydre hippogriffale
Pour le contentement de son ire orgonale
- A l'M.L.F. châtreuse, émasculeuse, oseuse
Qu'un pénis contumax ne pénalise plus
(O Sigmund qu'en ton nom se commirent d'abus !)
Et de son abricot nueû-propriétaire
- "Ce qu'on a de fendu ce n'est pas défendu" -
Ne le concède à la mentule caverneuse,
Pour complaire à sa seule humeur licencieuse
Qu'autant qu'elle ait élu le style et la manière,
Les couilles et la queue de son apothicaire,
Son administrateur des baumes et clystères ;

[...]

extrait des Fous littéraires

Commentaires

Achmy Halley, collaboration spéciale
La Presse

 

Les amateurs de bizarrerie verbale et de «fouloquerie» intellectuelle vont sans doute se délecter à la lecture des Fous littéraires, monumental objet livresque non identifié du Belge André Blavier.

Publié pour la première fois en 1982, ce bijou de l'art inutile était devenu une rareté pour amateurs avertis. La nouvelle et belle édition, revue et augmentée qui vient de paraître aux éditions des Cendres, à Paris, (que l'on peut se procurer à la librairie Gallimard) devrait satisfaire les bibliophiles les plus curieux. Car Les Fous littéraires c'est un peu La Pléiade (1152 pages sur papier bible!) des toqués du verbe et autres illuminés aux idées aussi savantes qu'absurdes. De page en page, le lecteur ébaubi découvre dans ce dictionnaire qui met à l'honneur les plumitifs les plus déments, les oubliés de l'Histoire des lettres, personnages invraisemblables qui oscillent entre la folie et le génie. Et tant pis si Dubuffet pense qu'il «n'y a pas plus d'art des fous que d'art des dyspeptiques ou des malades du genou», les timbrés patiemment collectés par André Blavier sont de drôles de zigues.

L'auteur lui-même se définissait comme «un vieux réac qui se borne à lire les trucs les plus enquiquinants» et accepte de s'inclure dans la grande famille des siphonnés du verbe, lui, «l'original qui collectionne les productions des fous». Un virus qu'il attrapa au contact de son ami Raymond Queneau qui initia la première documentation sur les fous littéraires du 19e siècle. L'entreprise de Blavier qui occupa toute sa vie de bibliothécaire à Verviers, en Belgique, est bien plus ambitieuse. L'archiviste-pataphysicien propose, en effet, une véritable anthologie illustrée des auteurs, savants et philosophes les plus cinglés de l'histoire littéraire. Tous inconnus au tableau d'honneur de la postérité. Ils ont pourtant rêvé le monde et la société avec la sincérité désarmante des coeurs simples et des scribouillards sans talent.

Le charme encyclopédique de ce livre hors norme réside dans la promenade singulière à travers les états d'âme, les projets abracadabrants, les inventions tordantes des milliers d'auteurs que Blavier exhume de l'ombre. On croise dans les Fous littéraires tout ce que la littérature des siècles passés a charrié de cosmogones et autres philosophes de la nature, persécutés et faiseurs d'histoires, sociologues et casse-pieds savamment répertoriés par Blavier sans oublier les romanciers et poètes dont un certain Rémi del Gir, auteur de La Vie privée de Jésus-Christ en 300 pages! Cela ne s'invente pas.

En quelques lignes agrémentées d'extraits et d'illustrations qui authentifient la folie créatrice de ces ratés du porte-plume, Blavier aiguise la curiosité du lecteur qui grappille parmi les 3000 entrées de l'index, tombant sur un titre ébouriffant comme, L'Âme. Démonstration de sa réalité déduite de l'étude des effets du chloroforme et du curare sur l'économie animale , signé Ramon de la Sagra, directeur du Jardin botanique de La Havane. Dans un autre style, le poème inouï de «l'inventeur d'une machine à éplucher les prières». On lira avec le sourire Les Anti-Misérables (1862), de Francisque Tapon-Fougas, scribouillard paranoïaque qui accusait Hugo de l'avoir caricaturé dans le personnage de Thénardier. Le Mystère des magnétiseurs et des somnambules dévoilé par un homme du monde, publié à Paris en 1815 n'est pas mal non plus ni les Mémoires d'un nouveau prophète-poète, le Marseillais Michel Fournet.

Livre réjouissant et drôle, Les Fous littéraires s'adresse aux amoureux du bizarre et aux curieux de la marge qui vogueront entre les pages de ce bréviaire de la folie douce le sourire aux lèvres. À la réflexion, l'oeuvre utopique d'André Blavier est peut-être bien plus qu'un simple divertissement pour bibliophiles amateurs de raretés sur papier bible. Et si au-delà du côté amusant de l'entreprise, Blavier dessinait en creux une histoire secrète de l'écriture afin que ces auteurs inconnus, bourgeois rêveurs, paranoïaques lyriques, poètes trop inspirés, trouvent enfin une modeste place - un strapontin suffirait! - dans d'histoire littéraire. Et si ces fous naïfs, ces génies du ridicule représentaient l'envers ignoré des gloires littéraires d'antan. «Le Blavier» comme l'appelle depuis sa première édition les groupies de cette entreprise éditoriale hors du commun,

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LES FOUS LITTÉRAIRES
André Blavier
Éditions des Cendres, 8 rue des Cendriers 75020 Paris, 1152 pages, 200 illustrations