je suis passé par hasard de ce côté du monde
près de vous qui veillez comme des réverbères
au coin des vieux boulevards, la voiture électrique
des frères Jarret m’a transporté jusqu’à vous
vous êtes là ce soir vous lisez ou vous écoutez
des chansons assis sur une chaise bancale dans
un théâtre ou chez vous, vous parcourez ces
quelques feuillets, vous suivez l’itinéraire, peu de
flèches sur le parcours comme Eros l’attaque se
fait à même le coeur, aussi sommes-nous restés
au niveau des confidences quelque part du côté
de la nébuleuse d’Andromède – comme personne
ne pouvait faire la préface je l’ai faite moi-même
à l’heure où j’avais rendez-vous avec Boris un
fils né en janvier 70 – de mon côté j’ai vu le jour
en juin 36 – le temps fait le grand écart entre nous
je voudrais vous offrir un monde sans fumées et
sans bruit au pas feutré des voitures électriques
sans pin-pon qui rappelle la mort quotidienne
ici, en afrique ou ailleurs et le grincement des
poètes enfermés “comment faire pour être heureux
comme un petit enfant candide” un homme vient
de rentrer à l’hôpital un poignard dans le dos
j’aimerais vous bercer pour vous faire tout oublier
sur les genoux de l’amour même, nous irons donc
plus avant dans la recherche d’un paradis qui
ne soit pas artificiel et vous fidèles compagnons
de voyage fasse le ciel que je sente toujours à
mes côtés votre merveilleuse présence nocturne
*
Quand construirez-vous
Votre maison en faux Tudor dans
Le Surrey
Quand aurez-vous dans votre
Jardin
Des sculptures immenses
Amovibles et stagiaires
Beaucoup de vos amis
Sont déjà tombés de la voiture
Au premier tournant
Vous continuez seul votre voyage
*
Les lettres que tu m’écrivais
au crayon
je les ai gommées
et sur les cassettes que tu m’envoyais
j’ai enregistré des airs de patagonie
le petit trot des gauchos
ne me façonne plus
l’est et l’ouest me restent sur la dent
y’a plus d’espoir dans les quatre vents
les poètes emprisonnés écrivent
avec des morceaux de barbelés trempés dans leur sang
parfois un cri déchire le camp
les gens disent : “ce n’est pas vrai”
nous sommes un troupeau sans mémoire
mon enfant quand tu viendras me voir
apporte-moi une figue noire de notre jardin
Extrait de : Les verbes et les mots, Livret d’accompagnement du disque R.C.A. “Julos chante pour vous” (n°740.630)
Mon terroir c’est les galaxies
la vie est courte compagnon
l’ici-bas n’est pas notre vraie maison
notre corps est outil et véhicule
sitôt qu’il sera à la ferraille
ne restera vivant que notre esprit
en attendant mortel mon frère soigne ton corps
afin qu’il te conduise au plus loin
qu’il est possible au bout de cette
galaxie que tu es sans le savoir
ô ignare mortellement ignorant
du sens du courant de ton fleuve intérieur
*
comment vous parlerais-je
des fruits et de la neige
quand on m’a volé mon jardin
il y a dans l’enclos
colchiques et perce-neige
et toi qui attends si loin
je ne sais de la nuit
qu’un troupeau d’étoiles
le pasteur a laissé
éclairée sa lanterne
oui ses moutons barbus
ont l’air d’être des chèvres
mais la mine ici n’a plus rien d’imposant
on passe la limite des choses apparentes
on gratte un petit peu
pour voir un peu dedans
passez votre chemin
manieur des apparences
le cheval de la nuit
n’est pas ferré de gants
il manque à ce sabot
une étincelle bleue
ou bien des ailes de goéland
les mouettes muettes
passent dans le jusant
et l’avril est si loin
que le grésil trépasse
dans le cristal d’un jour
plus froid que la glace
ami de l’éternel
je ne suis que passage
je cherche comme toi
un ailleurs oublié
peut-être se cache-t-il
au fond de ton visage
dans le pli qui sépare
tes beaux seins enneigés
Extrait de : Mon terroir c’est les galaxies, Ed. Louise Hélène France SPRL, 1980.
Et le wallon, réservoir de mots de la langue française, savoureux et pétillant. Le wallon, ce champagne continuel du langage, cet esprit qui ne se prend jamais au sérieux et que les snobinards de sevice regardent du haut de leur grandeur avec leur langue pointue et pharmaceutique de discours académique. Si Louis XIV s’était installé à Namur, toute la France parlerait le wallon de Namur. le français, c’est un patois qui a réussi, qui s’est imposé au hit-parade des langues et qui, par ailleurs, s’il ne se défend pas, finira par se faire manger par l’anglais. Une chanson, c’est peu de chose mais ça peut y faire pour la langue. Le wallon, c’est “le langage naif et doux qui nous vient de nos mères, de nos premiers amis du vilage natal, c’est un langage qui supplée aux lacunes du beau parler et qui a toujours un mot spirituel à mettre là où défaillent les dictionnaires” (Henri Pourrat), le wallon dans ses différences, c’est l’originalité d’une région qui refuse de mettre l’uniforme, d’être copie conforme, duplicata, c’est un “certain tour d’esprit aussi ancien que les outils de silex”.
Le wallon, c’est le latin venu à pied du fond des âges.
Extrait de : Julos Beaucarne écrit pour vous, Ed. Duculot, 1975.