Poèmes

Cette rubrique vous propose des textes écrits par les participants aux ateliers  pARTages proposés par Béatrice Libert chaque mois à la Maison de la Poésie.

 

je me suis éveillée au levant de la nuit

la bouche asséchée par la lune

et j’ai eu peur de vivre

le silence insistait

la nuit s’est répandue sur ma peau

et les arbres ont frémi

le sommeil m’a reprise mais mon âme veillait

j’ai dévisagé tous les morts

embrassé ceux que j’aime

rêvé de la forêt

ce matin je me suis levée

revêtue par l’aurore

et j’avais peur encore

contre la fenêtre ouverte ma peau s’est réfugiée

viens

souffle du jour

illuminer ma nuit

que les oiseaux s’éveillent

 © Christine De Bauw, 23 avril 2022

au croisement des rêves au carrefour d’angoisse

sur le damier des tapis l’enfant dort

sa mère avec d’autres femmes

entrecroise des chants

embrigade des fils des tissus

ameute des lambeaux

c’est pour les hommes au front l’abri du camouflage

dors l’enfant dors tu ne sais

au croisement des mots au blé mûr de la page

j’écoute

souffle court

et j’attends que s’écrive

le rêve infini de l’enfant

 © Christine De Bauw, 12 mars 2022

« Par un jour presque trop clair »

Fernando Pessoa

Par un  jour presque trop clair

tu as laissé le ciel ouvert

sur la table de bois blanc

Et si la nuit se glisse par la fenêtre

elle ne trouvera en entrant

que le pastel de ton cœur

troublé et frémissant.

© Marie-Catherine Borlée

J’ai peint une maison
Où ton prénom est la porte
Ton souffle sa chaleur
Ton odeur sa saveur
Et ton rire sa raison d’être

© Marie-Catherine Borlée

« Parfois je prends tes sandales

Et je marche vers toi

Parfois je revêts ta robe

Et… » 

Paul Éluard, extrait de Corps mémorables

Parfois tu prends le large

Et tu navigues dans le rêve

Parfois tu sèmes le grain

Et tu sombres à la tempête

Parfois tu lâches les amarres

Et tu accostes en mes mains

© Marie-Catherine Borlée

 

« Avec des bouts de ficelle

Avec des rognures de bois

Avec…»

Aimé Césaire, extrait de Maillon de cadène

 

Avec       des cailloux égarés

des citadelles en ruine

des noues ensablées

des roches balafrées

Avec       des amonts sans aval

des rives sans ruisseau

des vallées sans embouchure

des puits sans ressource

Avec      des nuages sans ciel

des branches sans feuilles

des ardoises sans maison

des folies sans raison

Je te guérirai

© Marie-Catherine Borlée

1.

le soleil ouvre la fenêtre

le déjeuner est prêt à l’heure

le bonheur siffle dans la bouilloire

on garde au chaud l’hiver

on tire les arbres jusqu’à la soupe

l’odeur du thé se penche au jardin

ici

rien n’est à dire

tout est à faire

la rosée conte le muguet

le corps épouse la maison

que la maison épouse

c’est tout un toit de vieilles histoires

une lampe usée au temps qui fume

une île cernée de lierres et de nuages

on s’y blottit

rongés d’espoirs

dont on rechigne à s’affranchir

on s’y rassemble

pour un pardon

tombé des roses et des orties

de quelle cabane

de quel palais

sommes-nous issus ?

pourquoi ces rêves

et ces tourments ?

pourquoi l’eau claire sous le feuillage ?

voudrions-nous que rien ne meure ?

avions-nous cru pouvoir partir

sans rien toucher à la lumière ?

© Pierre Warrant

2.

écoute encore

la pluie

à même le sol

à même la peau

creusant le vent

de ta faiblesse

elle parle très doucement

elle essaie des phrases

d’où que tu viennes

elle te précède

elle dit :

ne pleure pas

c’en est fini de tout recommencer

elle dit encore :

voilà les ruines de tes nuits

lave-toi les yeux avec le ciel

il n’y a plus rien à vaincre

juste à aimer

© Pierre Warrant

L’écart

L’écart est dans le silence de ton regard

le vide de ta présence.

L’écart est dans la froideur des draps

la solitude de ta chaise.

L’écart est dans les fleurs qui se fanent

ta tombe qui m’appelle.

© Maribé

Viens

Si tu me disais : viens !

Je suivrais ta trace

L’appel de tes mots.

Je humerais l’odeur

Du verbe aimer

Je toucherais les lettres

Assemblées

Qui font frémir

Mon cœur arrimé.

Si tu me disais : viens !

J’écouterais l’écho

Dans mes veines

Le cri de mes doutes

Je goûterais à ta peau

Pour libérer mes peurs.

 

Si tu me disais : viens !

La nuit revêtirait le jour

Le jour s’enroberait d’étoiles

Le sel s’humecterait de miel

Et je deviendrais belle.

Ce soir, tu m’as dit : viens !

J’ai fermé les volets

Rangé ma tasse solitaire

Coiffé mes cheveux défaits

Je me suis glissée

Sereine

Dans ton sommeil.

© Maribé

 

« J’habite une blessure sacrée »

Un pays où il ne tombe jamais d’eau

Les mots lézards ne crèvent pas l’abcès de l’omerta

Par un heureux hasard

Je cache sous mon chapeau de cuir

Tous les délices de l’Eldorado

Oranges, olives, citrons, les ailes

Silencieuses de l’oiseau bleu

Et pourtant,

J’ai marché,

marché pieds nus sur des tessons de brume

Bâtons de pluie de l’enfance

J’ai bu,

bu, sans vergogne

Le vin santo de son regard

J’ai planté,

planté le clou de la colère

Comme un aimant de passage

J’ai nagé,

nagé du Sud au Nord

du Nord au Sud

bravant le mistral

des années-immobiles

Pour revenir là

Dans l’île où je suis né

légionnaire

sans toit

sans bagage

© Emma Picciau

Le vieux téléphone faisait trembler les murs de toute la maison

Jusqu’à ce que les feuilles de l’arbre tombent une à une.

À la fin de l’automne, il était trop tard pour décrocher la ligne.

Pourtant, une étoile dansait au bout du fil.

© Emma Picciau

Je fouille mes ténèbres à la recherche d’un je ne sais quoi.

Je mets à l’épreuve des photos qui se sont tues.

J’astique les bibelots de ma mémoire.

Je me berce de mélodies qui se sont jouées de moi.

Je m’essouffle en vain à rallumer des braises pourtant calcinées.

Je prends de nouveaux repères dans la salle des pas perdus.

Lorsqu’enfin je m’abandonne, je me découvre  là où je ne m’attendais plus.

© Michel Fostier

Pour dessiner une maison, il faut de l’imagination.

Il fut aussi beaucoup de persévérance et de conviction.

Sur un support solide, tu poseras tes premiers croquis.

Prends bien le temps des fondations : ta maison est comme toi, elle a besoin de racines.

Dans l’arc-en-ciel de tes bonheurs et de tes chagrins, tu puiseras les couleurs de la vie.

Tantôt ouverte à tous vents pour prendre la clé des champs, tantôt porte close sur une intimité préservée.

Des miroirs t’inviteront à la réflexion.

Tu apprivoiseras des présences invisibles devinées à tes côtés.

Et un soir en farfouillant dans le grenier tu retrouveras tes premiers brouillons raturés et tant retravaillés.

Te souviendras-tu alors que toujours aux alentours, il y aura eu des rivières et des jours écoulés, des arbres et des chansons ?

© Michel Fostier

Aux derniers confins de toi

Assise tout au bord

Les jambes ballant dans le vide

La question se pose

« Je saute ? »

© Élisabeth Ruwet

Les yeux ouverts et vides

La bouche sans papille

J’approche mon obscur

m’y plonge et l’arpente

Les moignons de mes mains

cloués dans le dos

© Élisabeth Ruwet

Les mots libres

C’est un moutonnement,

Comme une toison blanche, grande,

qui bouge, telle une houle.

C’est une mer, que masse l’air,

un corps léger, aux mille pieds.

Ça danse, ça fuit,

Se fend et se reprend.

Des mots appris, des mots partis,

Des mots collés qui se dérangent

Et qui sautillent,

Comme des mésanges.

C’est un moutonnement,

Des mots mouillés, gonflés de vent

Qui viennent glisser

Dedans ma page,

Plus silencieux que les nuages.

© Marie-Noëlle Springuel

À l’aube

Par un matin trop clair,

il a posé son sac,

là, juste là,

à ses pieds,

tout de vrac,

un lourd paquet de vie froissée.

Par un matin trop clair,

Il a laissé son froc,

Là, juste là,

à ses pieds,

Choir comme une loque,

Jambes de toile égratignées.

Par un matin trop clair,

Il a laissé traîner,

Là, juste là,

à ses pieds,

Frêles esquifs au ciel livrés,

Ses godillots tout cabossés.

Par un matin trop clair,

Il a cassé son cœur,

Là, juste là,

à ses pieds,

Sans peur et sans rancœur,

Perles lancées à la volée.

Par un matin très clair,

Il est parti,  là- bas,

là, juste là,

devant ses pieds,

tout de lumière enrubanné,

dans l’herbe douce et bleue d’un pré.

© Marie-Noëlle Springuel